Laisse tous les antidotes se libérer tout seuls : Un principe bouddhiste pour les patients et les thérapeutes
- Delphine de Préville

- 14 sept.
- 5 min de lecture
Slogan numéro 4 de l’entraînement de l’esprit
Dans notre quête de bien-être psychologique, nous accumulons souvent des techniques, des méthodes et des stratégies pour faire face à nos difficultés. Ces "antidotes" à nos souffrances sont essentiels, mais le bouddhisme nous offre une perspective surprenante : ces remèdes eux-mêmes peuvent devenir des obstacles s'ils ne sont pas correctement intégrés. Le quatrième slogan du Lojong, "Laisse tous les antidotes se libérer tout seuls", nous invite à une approche plus subtile et profonde de la guérison.
Le Lojong, ou "entraînement de l'esprit", est une pratique méditative du bouddhisme tibétain composée de 59 slogans conçus pour transformer notre attitude face aux difficultés. Ces enseignements, qui remontent au 11ème siècle, offrent une sagesse particulièrement pertinente pour notre époque moderne marquée par l'anxiété et la recherche constante de solutions.

Comprendre ce slogan
Que sont les "antidotes" ?
Dans le bouddhisme, les "antidotes" sont des pratiques ou des états d'esprit que nous cultivons pour contrer les émotions perturbatrices (colère, attachement, peur, etc.). Par exemple :
La patience comme antidote à la colère
Le non-attachement et le don comme antidote à l'avidité
La compassion comme antidote à la haine
L’entraînement à la pleine présence comme antidote à la distraction
Pourquoi doivent-ils "se libérer tout seuls" ?
Le paradoxe est le suivant : si nous nous attachons aux antidotes eux-mêmes, ils deviennent de nouveaux obstacles. Comme l'explique la tradition du Lojong, une fois que l'antidote a accompli sa fonction, nous devons le laisser aller naturellement. Sinon, nous créons simplement une nouvelle forme d'attachement.
C'est comme si, après avoir pris un médicament qui nous a guéris, nous continuions à le prendre indéfiniment par peur de la maladie. Non seulement cela devient inutile, mais cela peut créer de nouveaux problèmes.
Applications pour les patients
1. Éviter la dépendance aux techniques
En tant que thérapeute, vous avez probablement observé des patients qui s'accrochent désespérément à certaines techniques thérapeutiques. Ils transforment un outil temporaire en béquille permanente. Le slogan nous rappelle que les techniques sont des véhicules, pas des destinations.
2. Transcender l'auto-amélioration compulsive
Notre culture valorise l'auto-amélioration constante. Cependant, cette quête peut devenir une nouvelle forme de souffrance. Le slogan nous invite à reconnaître quand nos efforts d'amélioration deviennent eux-mêmes des sources de stress.
Exemple pratique : Une patiente perfectionniste qui transforme la méditation en une nouvelle exigence ("Je dois méditer parfaitement pendant 30 minutes chaque jour") manque l'essence même de la pratique. L'invitation est de laisser la méditation devenir un espace de liberté plutôt qu'une nouvelle obligation.
3. Intégrer plutôt qu'accumuler
Le véritable objectif n'est pas d'accumuler un arsenal de techniques, mais d'intégrer leur essence dans notre être. Lorsque l'antidote a fait son travail, sa sagesse demeure même si la pratique formelle diminue. Un patient qui a travaillé sur l'acceptation de ses émotions n'a plus besoin de suivre consciemment chaque étape d'un protocole d'acceptation. Cette qualité devient simplement sa manière naturelle d'être.
Applications pour les aidants et les thérapeutes
1. Éviter l'épuisement par la flexibilité
Les aidants développent souvent des routines et des méthodes rigides pour gérer leurs responsabilités. Ces structures sont des antidotes à l'anxiété et au chaos, mais peuvent devenir des sources de stress si elles sont trop rigides.
Un aidant qui a établi un horaire strict pour les soins peut apprendre à assouplir ce cadre lorsque les circonstances changent, sans culpabilité ni anxiété excessive.
2. Transcender l'identité d'aidant
De nombreux aidants s'identifient tellement à leur rôle qu'ils perdent leur propre identité. Le rôle d'aidant devient un antidote à leur propre sentiment d'inutilité ou d'insignifiance. Le slogan nous invite à reconnaître quand cette identité devient elle-même un fardeau.
Un aidant qui prend soin de son parent âgé peut apprendre à maintenir des espaces dans sa vie qui ne sont pas définis par ce rôle, permettant ainsi une relation plus saine et équilibrée.
3. Lâcher prise le résultat
Les aidants travaillent souvent avec des attentes spécifiques concernant les résultats de leurs soins. Ces attentes sont des antidotes à l'incertitude, mais peuvent devenir des sources de souffrance lorsque la réalité ne correspond pas à l’attendu.
Par exemple, un aidant qui s'occupe d'une personne atteinte de démence peut apprendre à trouver de la valeur dans les moments de connexion présents, plutôt que de s'attacher à des attentes de progrès ou d'amélioration.
Exercices pratiques
1. Méditation sur le lâcher-prise des antidotes
Asseyez-vous confortablement pendant 10 minutes. Identifiez une technique ou une stratégie à laquelle vous vous accrochez. Puis, laisser la pensée, l’idée de cette technique se dissoudre naturellement dans l'espace. Observez comment vous vous sentez.
2. Journal réflexif : Identifier vos antidotes
Prenez 15 minutes pour répondre aux questions suivantes :
Quelles stratégies d'adaptation ai-je développées pour faire face à mes difficultés ?
Y a-t-il des techniques auxquelles je m'accroche même lorsqu'elles ne sont plus nécessaires ?
Comment serait ma vie si je laissais ces antidotes "se libérer tout seuls" ?
3. Pratique progressive du lâcher-prise
Choisissez une technique que vous utilisez régulièrement (méditation, affirmations, exercice de respiration). Pendant une semaine, pratiquez-la consciemment. La semaine suivante, continuez mais avec l'intention de la laisser devenir plus naturelle, moins formelle. La troisième semaine, observez comment cette pratique s'intègre naturellement dans votre vie sans effort conscient.
Conclusion
"Laisse tous les antidotes se libérer tout seuls" nous rappelle que le véritable objectif n'est pas de remplacer un problème par une solution à laquelle on s'attache, mais de cultiver une liberté intérieure qui transcende à la fois les problèmes et les solutions.
Pour les patients comme pour les aidants, ce slogan offre une perspective libératrice qui évite les pièges du perfectionnisme thérapeutique ou de la dépendance aux techniques. Il nous invite à une guérison plus profonde où les outils que nous utilisons finissent par se dissoudre naturellement, laissant place à une sagesse intégrée et à une présence authentique.
Dans un monde obsédé par l'accumulation – y compris l'accumulation de techniques de bien-être – ce slogan nous rappelle que le véritable art de vivre réside parfois dans notre capacité à lâcher prise, même des choses qui nous ont aidés en chemin.
Cet article s'inspire de la tradition du Lojong du bouddhisme tibétain, mais ses principes peuvent être appliqués indépendamment de toute affiliation spirituelle. Il s'agit d'une sagesse universelle sur la nature de l'esprit humain et notre relation aux outils que nous utilisons pour notre croissance personnelle.
Delphine de Préville est psychologue clinicienne spécialisée dans l'intégration des pratiques contemplatives en psychothérapie. Formée à la méditation dans la tradition tibétaine et aux approches basées sur la pleine conscience depuis plus de 20ans, elle accompagne particulièrement les professionnels de santé et les pratiquants de méditation dans l'intégration de leur pratique dans la vie quotidienne.
Cet article a été rédigé le 15 septembre 2025 avec l'aide du Chatbot Garuda House pour aider les pratiquants et les personnes intéressées par la psychologie bouddhiste à mieux comprendre l’entraînement de l’esprit.




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